Preparing for Bombing: France 1922-1940 / Se préparer aux bombardements, 1922-1940

Les Français et les bombardements, 1940-1945
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L’État et la défense passive

Moins de cinq ans après la fin de la Grande Guerre, les décideurs français en étaient déjà à réfléchir sur le danger aérien. Dès 1923, le ministre de la guerre André Maginot (connu quelques années plus tard comme le père de la Ligne Maginot) publie une « Instruction provisoire » sur la défense passive. À l’époque l’essentiel de ses soucis concerne les centres administratifs et de commandement, ainsi que les communications, plutôt que la population civile.

Entre 1922 et le 1er septembre 1939, cependant, les gouvernements successifs français publieront au moins deux lois, quatre décrets-lois, 34 décrets, 109 circulaires, 29 instructions, 18 arrêtés ministériels et onze notices relatifs à la défense passive. Entre le déclenchement de la guerre et la débâcle de juin 1940, quatre nouveaux décrets-lois suivront, ainsi que treize décrets, neuf circulaires et deux instructions. On ne saurait accuser l’État français d’être resté inerte face à la menace aérienne, au moins en ce qui concerne la production de textes …

Il est intéressant de noter que les deux principaux personnages de Vichy ont joué un rôle de premier plan dans la défense passive d’avant-guerre. En effet, le maréchal Pétain devient le premier inspecteur de la défense aérienne du territoire en février 1931. La même année, Pierre Laval signe une nouvelle « Instruction pratique sur la défense passive » qui remplaçera le texte de Maginot. Ce document sera complémenté par la suite par une série d’annexes détaillées sur le guet, les mesures d’extinction des lumières, la protection contre les gaz toxiques (une menace très redoutée dans tous les documents d’avant-guerre sur les bombardements), les abris, la lutte contre l’incendie, les dispositions sanitaires et de secours, l’évacuation, etc. Le 8 avril 1935, la loi organisant la défense passive sur le territoire métropolitain (publiée au JO du même jour) rend obligatoire, pour la première fois, les mesures de défense passive sur l’ensemble du territoire. La loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale de la nation pour les temps de guerre (JO du 13 juillet 1938), ainsi que les décrets d’application qui suivront, transfère la responsabilité de la défense passive du ministère de l’Intérieur au ministère de la Défense nationale, au sein duquel une nouvelle direction de la défense passive se crée. Le fait que le ministre en fonctions n’est autre que le président du conseil Édouard Daladier donne la mesure de l’importance accordée à cet aspect relativement neuf des préparations à la guerre.

À partir de 1935 donc, et dans chaque département, le préfet est mis dans l’obligation de mettre en place une commission de la défense passive, comprenant notamment les maires principaux ainsi que des experts civils et militaires. Le préfet peut également demander la création de commissions au niveau municipal. C’est ainsi que dans plusieurs agglomérations comme Lyon ou Rouen, des commissions de la défense passive se réunissent régulièrement bien avant 1939 ; certaines villes à forte importance stratégique, comme Brest, en disposent même avant l’Instruction de 1931. On peut en conclure que du point de vue purement administratif, la France a beaucoup fait avant 1939 dans la mise en œuvre de la défense passive.

Défense passive et société civile

Des initiatives ont lieu également au sein de la société civile française. Des organismes comme le Comité français pour la propagande aéronautique ou l’Union nationale pour la défense aérienne offrent une formation aux volontaires de la défense passive, tout en essayant de sensibiliser la population à la menace aérienne à travers de nombreux magazines, brochures, expositions, ou conférences. En 1938 Lyon, ville connue pour ses foires commerciales, accueille un Salon de la défense passive, où sont proposées toutes sortes d’équipements, des masques à gaz aux extincteurs, des échelles de sauvetage aux abris prêts à monter.
De même, les citoyens soucieux de se préparer aux éventuels bombardements ont le choix parmi toute une série de brochures préparées soit par l’État, soit par des organismes privés. Les plus empreints de civisme peuvent aussi s’engager comme volontaires à temps partiel.

La France était-elle préparée?

La réponse est « Non », et ce pour cinq raisons principales : trop peu d’abris, des plans d’évacuation insuffisants, trop peu de masques à gaz (bien que cette lacune n’ait pas, en définitif, de retombées nuisibles), trop peu de volontaires, et une concentration de l’effort dans les mauvaises localités.

  • Trop peu d’abris. Potentiellement au moins, les abris constituent la partie la plus chère dans tout budget de la défense passive. Or, le coût d’abris bétonnés pour la seule population parisienne aurait représenté quelque 46 milliards de France, soit 50 fois le budget total de la défense passive. En plus, jusqu’en 1938, le financement des abris incombe aux collectivités locales, ce qui en limite très fortement la construction. Quand l’État, selon les nouvelles dispositions de la loi de 1938, commence enfin à y consacrer des sommes importantes, il favorise, pour l’essentiel, les abris les plus sommaires (et les moins chers). Tandis que les édifices essentiels comme les mairies ou les préfectures bénéficient souvent d’abris en béton armé, la population dans son ensemble doit se contenter, soit de tranchées, éventuellement renforcées avec du bois ou du béton, soit de leurs caves, là aussi avec renforcement éventuel. Bien qu’utiles contre le souffle et les éclats, de tels abris n’avaient que peu de chances de résister à une frappe directe (un « coup au but », dans le langage de la défense passive de l’époque). Et même ces constructions relativement modestes ne progressent que lentement. Peu nombreuses sont les villes, en 1940, capables d’abriter correctement plus de 10 % de leurs populations.
  • Des plans d’évacuation insuffisants. Tout au long des années 30, pour les populations dites « inutiles » des grandes villes, l’évacuation (vers des régions lointaines) ou, plus souvent, la dispersion (vers des communes rurales dans le même département), sont considérées par les autorités comme des moyens de protection plus sûrs et (surtout) moins chers qu’un vaste programme de construction d’abris. C’est ainsi, par exemple, que sont préparés des horaires détaillés pour l’évacuation de quelque 400000 enfants des écoles parisiennes vers la Normandie. Les dispositions d’hébergement restent cependant très floues, les gouvernements entretenant une certaine ambiguïté sur le caractère obligatoire ou facultatif des évacuations. En septembre 1939, quelque 2 millions de Français, enfants pour la plupart, seront déplacés en vertu de ces dispositions. Fin novembre, la plupart sont rentrés chez eux. Mais surtout, toutes ces dispositions seront très largement débordées par la débâcle de mai-juin 1940, où l’on assiste à la fuite massive d’entre 8 et 10 millions de Français et de Belges face aux armées allemandes victorieuses. Le souvenir de cet exode et de ses suites (notamment de très nombreux actes de pillage) écartera pour longtemps, dans l’esprit des Français ordinaires mais aussi celui des autorités, l’idée d’une évacuation générale comme une mesure pertinente sauf dans les situations les plus extrêmes.
  • • Trop peu de masques à gaz. En février 1939, 289000 masques sont disponibles dans le département de la Seine – assez pour un Parisien sur dix. Heureusement, l’interdiction par la convention de Genève de l’utilisation des gaz de combat sera respectée, pour l’essentiel, par l’ensemble des belligérants de la 2e guerre mondiale.
  • Trop peu de volontaires. La société française d’avant 1940 est trop divisée pour que des tentatives de mobilisation de la population pour des tâches de défense passive (îlotage, secours, etc.) puissent rencontrer un soutien général et consensuel. Les associations de défense passive, souvent liées de près ou de loin à l’armée, sont assimilées par beaucoup à la droite militariste. Les services de la défense passive, ainsi que les pompiers, manqueront ainsi de bras jusqu’à la défaite et la démobilisation de l’armée.
  • Une mauvaise concentration géographique. Fort logiquement, la part du lion des budgets de la défense passive est consacrée à la capitale et aux départements les plus proches de l’Allemagne. Que la France métropolitaine aura à subir des bombardements venant de l’Angleterre, puis des bases alliées en Italie et même des territoires français de l’Afrique du Nord, est une idée qui n’effleure guère, pour des raisons évidentes, les esprits des décideurs d’avant 1940. Mais l’écart entre les régions où les bombardements sont les plus attendus et celles effectivement attaquées aura pour conséquence que de nombreuses zones à risque après 1940, comme les villes côtières, partiront d’un niveau de préparation particulièrement insuffisant.

Ce constat d’impréparation est cependant à nuancer, à deux titres. D’une part, la France est loin de représenter un cas atypique. Dans aucun pays européen la défense passive ne sera une priorité budgétaire, tant que la guerre ne se profilait pas à l’horizon. De même, avec la montée des tensions internationales à partir de 1935, l’effort de réarmement viendra concurrencer la défense passive pour les ressources nécessaires, et ce dans l’ensemble des futures nations belligérantes. De plus, la menace des gaz toxiques est très largement surestimée partout en Europe occidentale, tandis qu’aucun pays n’imagine la quantité de bombes explosives et incendiaires dont les forces aériennes anglaises et américaines disposeront à partir de 1943.

D’autre part, malgré l’état tout à fait insuffisant de la défense passive d’avant-guerre, tout ne sera pas à improviser à partir de 1940, car l’essentiel des structures administratives sont déjà en place. En effet, la défense passive est un domaine où Vichy travaillera, dans l’ensemble, dans un cadre déjà fixé par la IIIe République honnie.

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Preparing for Bombing: France 1922-1940

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Civil defence and central government

French policy-makers were thinking about the dangers of bombing less than five years after the end of World War 1. As early as 1923, Defence Minister André Maginot (later famous as the father of the Maginot Line) issued a ‘provisional instruction’ on civil defence against bombing; his concerns focused on key administrative buildings and transport networks, not the general public.

Between 1922 and 1 September 1939, the French government issued at least 2 laws, 4 decree-laws, 34 decrees, 109 circulars, 29 instructions, 18 arrêtés (ministerial decisions) and 11 notices relating to civil defence issues. A further four decree-laws, 13 decrees, 9 circulars and 2 instructions followed before the defeat of 1940. No-one could claim that the French government had not thought about the prospect of bombing.

Interestingly, the two leading figures of the wartime Vichy regime, Marshal Philippe Pétain and Pierre Laval, were also prominent in pre-war civil defence preparation: Pétain was France’s first General Inspector of Air Defences from 1931, and in the same year Laval signed a new ‘Practical Instruction on Civil Defence’, which superseded the Maginot text. Laval’s Instruction was complemented in the following years by a series of specialised appendices on such questions as look-out and black-out measures, poison gas, shelters, fire-fighting, medical provision and evacuation. The Law Organising Passive Defence on Metropolitan Territory of 8 April 1935 made civil defence a requirement across the whole of metropolitan France for the first time. In 1938, the Law on the General Organisation of the Nation for Wartime, and subsequent decrees, moved responsibility for civil defence from the Interior Ministry to the Defence Ministry, where a new civil defence directorate was created; the fact that the Defence Minister, Édouard Daladier, was also the Prime Minister indicated the importance assigned to this relatively new policy area.

In each French département (roughly equivalent to a county: mainland France had 90 départements), the Prefect, the top state official, was required from 1935 to set up a Passive Defence Committee including mayors and local military and civilian experts. Prefects could also demand the creation of similar committees at municipal level, and major cities like Rouen or Lyon had functioning committees well before 1939; some militarily sensitive towns like Brest had set them up even before Laval’s Instruction of 1931. In purely administrative terms, France had gone a long way to create viable civil defence structures by 1939.

Civil defence and civil society

France also saw the development of initiatives within civil society. Bodies like the Comité Français pour la Propagande Aéronautique or the Union Nationale pour la Défense Aérienne were active in training civil defence volunteers, as well as publicising the threat from the air through magazines, exhibitions, and lectures. In 1938 Lyon, a major French centre for trade fairs, devoted a whole Salon to civil defence equipment.

If they cared to prepare for air raids, the public could seek guidance from a wide choice of leaflets, both government-sponsored and private. Some advertised a range of civil defence equipment, from gas masks (the most common single item) to escape ladders and fire extinguishers. The more public-spirited could be trained as civil defence volunteers.

Was France prepared?

The short answer is ‘No’, for five main reasons: too few shelters, inadequate evacuation plans, too few gas masks (though this would matter little, as it turned out), too few volunteers, and a concentration of effort in the wrong places.

  • Too few shelters. Shelters were potentially the most expensive single item in a civil defence budget. The cost of concrete shelters for the population ofParis alone was estimated at some 46 billion francs – over 50 times the total civil defence budget for 1939. Until 1938, the cost of shelters was expected to be borne by local authorities, and very few indeed were built. When central government, under the provisions of the 1938 law, began to spend large amounts on shelters, it was chiefly on very basic shelter types: while essential buildings – town halls and prefectures, above all – often disposed of reinforced concrete underground shelters, the general public had to be content with trenches, reinforced with wood or concrete, or cellar reinforcement. Useful against blast and splinters, such shelters could never resist a direct hit. Even these modest constructions proceeded slowly, and few towns had proper shelter for much more than 10 per cent of their populations by 1940.
  • Inadequate evacuation plans. For much of the 1930s, evacuating the non-essential population from urban areas was seen as a cheaper substitute for a massive shelter-building programme. Detailed train timetables were drawn up to take over 400,000 Paris schoolchildren to Normandy. But arrangements for billeting evacuees were imprecise at best, and governments left it unclear whether evacuation programmes were compulsory or voluntary. Some 2 million people, many of them children, were evacuated at the outbreak of war in 1939. Most came home within two months. All official plans, though, were overwhelmed by the exodus of May-June 1940, when between 6 and 10 million people fled their homes in the face of the advancing German armies. In the minds of many ordinary people and even policy-makers, that experience tainted the notion of evacuation as a civil defence measure in all but the most extreme circumstances for the rest of the war.
  • Too few gas masks. In February 1939, just 289,000 masks were available for the Paris region as a whole – enough for one-tenth the population of the city of Paris. Fortunately, the ban on the use of gas in combat under the Geneva convention was broadly respected by the belligerents in World War 2.
  • Too few volunteers. France before 1940 was too divided a society for attempts to mobilise the general population for civil defence to achieve consensual support. Civil defence associations were too often associated with the militarist Right. French civil defence and fire services would remain undermanned until defeat and the demobilisation of the army in 1940.
  • Geographical concentration. Logically enough, much of the civil defence effort before 1939 was concentrated in Paris and in the eastern départements closest to Germany. That mainland France would be bombed chiefly from Britain, and later from Allied bases in Italy and in France’s own North African colonies was understandably not an idea much entertained by the pre-1940 planners. This discrepancy between where bombing was expected and where it happened affected spending priorities and meant that some of the most vulnerable areas after 1940, such as France’s coastal towns, had to start from a very low base of preparation.

Two qualifications should be made to this general appearance of unpreparedness. First, France was far from unique. In no belligerent country was civil defence spending a major priority when war was not expected; and when international tensions increased, civil defence had to compete with spending on rearmament. Moreover, all future belligerents overestimated the danger from gas, and underestimated the sheer quantity of high explosives and incendiaries the Allies would be able to deliver by 1943. Second, despite the poor material state of pre-war civil defence, all would not be improvisation after 1940, because most of the administrative structures were already in place. Civil defence was one area in which the government of Vichy France worked broadly within a framework set by its democratic predecessors.

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